Seule dans le désert : IronMan 70.3 Egypt

Eleïssa Karaj
28 min readNov 17, 2022

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Hello! Si vous arrivez seulement et que vous êtes curieux de savoir comment je suis partie de zéro jusqu’à terminer un IronMan 70.3 en une dizaine de mois, j’ai relaté la génèse de ce challenge dans une partie 1, 2, et 3 disponibles en cliquant sur les liens. Un deux et trois !

Mardi 15 novembre

Je suis arrivée en Egypte depuis dimanche.

A 15h je meurs de faim et me jette sur un burger

L’hôtel est superbe, le temps magnifique. Dimanche soir, je voulais nager mais je me suis faite interdire l’accès à la plage car le soleil se couchait déjà. J’étais frustrée, mais en remontant dans ma chambre j’ai vite réalisé que c’était pour le mieux : je suis exténuée par le voyage et surtout le stress lié à mon vélo.

J’ai donc pris soin de me coucher tôt devant un film, le theragun à porté de main.

Vu mes cernes et la fatigue, rester dormir était plutôt une bonne idée.

Lundi matin, je me suis reveillée à 8h heure locale soit 7h en France. Endormie à 22h30, cette nuit m’a fait beaucoup de bien. Je suis allée nager un petit kilomètre : incroyable, l’eau est superbe. Des poissons partout. Je suis en télétravail et le décalage horaire tombe à pic : je commence à travailler à 9h30 soit 10h30 heure locale : étant une lève-tôt, j’ai le temps de profiter de la matinée.

Je suis préocupée par le montage de mon vélo. Quel soulagement déjà de l’avoir récupéré à l’aéroport ! Lorsque j’ai apperçu la valise vélo au loin au milieu des poussettes, j’ai couru vers lui en traversant l’aéroport. Une scène digne d’un film de Noël… A peu de choses près ;)

En récupérant mes bagages, j’ai reperé une valise vélo en provenance de Paris. Je tente le tout pour le tout et laisse une note, au cas où le propriétaire est logé proche de moi et est prêt à faire une session mécano avec moi !

Mes valises à bon port, la note de l’appel à l’aide !

Le propriétaire de la valise vélo m’a écrit dans la matinée de lundi pour me proposer son aide. Entre temps j’avais reperé un slovène avec un tshirt IronMan dans mon hôtel. Nous avions convenu de nous retrouver au local vélo de l’hôtel à la fin de la journée pour qu’il m’aide à monter le vélo.

Pas peu fière de n’avoir finalement pas eu besoin de lui. Il roule avec un vélo très différent du mien, “oldschool” m’a t-il dit : les disques, le carbone et la clef dynamo, les pneus tubeless… tout cela, il n’en était pas familier.

J’ai compté sur mon bon souvenir des mes 4h de démontage de vendredi soir, et j’ai tout fait toute seule. J’ai quand même eu besoin de passer un coup de fil à Ben afin qu’il m’explique le fonctionnement de sa clef dynamo, et hop!

En m’occupant des roues, j’ai quand même eu une montée d’angoisse assez violente : il a un liquide visqueux sur ma roue avant.

Ai-je crevé dans l’avion ? Je panique.

Je ne peux pas avoir crevé dans l’avion, j’avais pourtant bien dégonflé mes pneus !! Je réalise aussi qu’il me manque une vis. Les copains du club sont en panique pour moi, je crois qu’ils m’imaginent déjà prendre le départ avec mes 3 vis au lieu de 4 (j’avoue que j’étais beaucoup trop enthousiasmée par la réussite de ma session mécano pour bien leur communiquer le fait que j’allais m’occuper de cette vis manquante).

Session mécano dans la salle réception de l’hôtel qui fait office de local à vélo
Moi, bien trop fière VS les copains du club qui s’inquiètent (à raison) de mon insouciance !

La réception de mon hôtel a été hyper efficace, ils ont appelé le Bike Shop et j’ai pu aller récupérer la vis au village IronMan vide. Je dois avoue que j’ai ressenti beaucoup d’émotion en arrivant sur les lieux, même si l’émulation n’était pas présente puisque le village n’ouvre officiellement ses portes que mercredi.

De voir les installations IronMan, et surtout, mon nom sur le mythique tableau des inscrits, j’en ai eu des frissons. Je ne réalise toujours pas que je suis arrivée jusqu’ici.

Je demande mon chemin à un monsieur de la sécurité qui me demande un selfie. Le paysage est magnifique.

Une fois la vis installée et payée, je demande aux gens du Bike Shop de jeter un rapide coup d’oeil à mon vélo. Je tente d’expliquer mon histoire de pneus tubeless et le liquide qui s’en est échappé, mais ils n’ont pas l’air de comprendre. D’après eux tout est ok. N’ayant pas perdu de pression dans mes pneus depuis hier, j’imagine que tout est bon. Je roule ensuite une trentaine de minutes et rentre à l’hôtel.

Mercredi 16 novembre

J-2 avant la course

Hier soir, je me suis longtemps demandée si j’allais prendre le départ de la session “reconnaissance du parcours vélo” organisée par IronMan. Départ à 7h du matin pour 30km. J’avais peur de me fatiguer, et j’avais en même temps très envie de rouler avec d’autres participants. En me couchant, je décide d’aviser en fonction de mon heure de réveil.

Je m’éveille à 6h30 heure locale (5h30 en France), en forme. Je décide alors d’y aller. Je grignotte quelques tuc, un jus de pomme et c’est parti ! Je retourne au village IronMan qui se trouve littéralement à 1 minute de mon hôtel (que j’ai d’ailleurs choisi pour cette raison). La lumière du matin est superbe, il fait un peu frais. Ce que j’aime l’aube…

Je me le répète quasi quotidiennement à chacun de mes voyages, j’aime beaucoup plus l’aurore que le crepuscule. Les lumières, le calme, je trouve que tout est différent d’un coucher de soleil. En un mois à Bali, je n’ai d’ailleurs fait qu’un seul coucher de soleil, ce qui surprenait tout le monde.

Superbe lumière matinale

J’arrive donc à 6h40 au lieu de rendez-vous, un peu en avance et donc la première. A 7h du matin, toujours personne… Je réalise finalement que je me suis ENCORE trompée de jour !! La sortie de reconnaissance du parcours aura en fait lieu le lendemain, jeudi à 7h du matin ! Contrairement à Bali où cette confusion avait eu un impact très lourd, ici je me suis juste amusée d’avoir de nouveau fait la même erreur et je suis allée rouler léger une trentaine de minute.

J’appréhende le vent.

C’est impressionnant. A l’aller, j’ai le vent dans le dos. Sur du plat et sans trop d’effort, je suis entre 33km/h et 40km/h. C’est énorme. Evidemment, je ne m’en réjouis pas car je ne sais que trop bien ce que cela signifie…

Et effectivement, le demi-tour est laborieux.

J’oscille entre 13km/h et 20km/h, là où je dois maintenir une moyenne de 20km/h pour ne pas être disqualifiée par les cut-off times… Mon vélo tréssaille au gré des rafales. En position aéro, je dois être vigilante car le vent est tellement puissant qu’il peut me faire perdre l’équilibre. Je réalise que tester les prolongateurs pour la première fois de ma vie en ces conditions, ce n’était effectivement pas la meilleure idée…

Entre midi et deux, j’irais chercher mon dossard. Là, je pense que ça sera probablement intense, emotionnellement parlant. Pour l’instant, j’ai toujours l’impression que ça n’est pas réél.

C’est étrange, je suis pourtant ici, avec mon vélo. J’ai vu le village. J’ai mon numéro de dossard, 187, j’ai même commencé à en parler sur mes réseaux sociaux personnels (ce que je n’avais pas fait jusqu’ici), et pourtant, c’est toujours très irréel.

C’est vrai que le temps passe très vite, comme prévu. Je suis contente d’être en télétravail, ce qui me permet la journée de ne pas penser à la course, et aussi de ne pas être frustrée de devoir rester à l’hôtel. Si je ne travaillais pas, je pense que j’aurais eu du mal à m’empêcher à aller visiter à droite à gauche sous 30 degré, une très mauvaise idée vu l’état de fatigue dans lequel je suis arrivée. Là, le fait de travailler me donne un bon rythme, me change les idées.

J’ai à la fois hâte, et j’ai en même temps déjà beaucoup de nostalgie.

Déjà que j’ai donné un nom à mon vélo, je vais paraitre encore plus étrange avec la phrase qui va suivre (bien que la majorité des cyclistes nomment leur vélo ;) ) : mais à l’approche de la course, j’ai l’impression d’être en train de me préparer à dire aurevoir à un ami.

Je ne sais comment le décrire autrement. Dans trois jours, c’est de l’histoire ancienne. Et ce défi m’a accompagné pendant si longtemps… Un an. J’ai décidé de faire un 70.3 en novembre, j’ai acheté mon dossard en février. 10 mois que je visualise l’Egypte et ce défi.

Cette année a été … mouvementée. Absolument géniale, mais mouvementée. 2022 est clairement dans le top 3 de mes meilleures années, mais s’est accompagné d’énormément de changements : un déménagement, une séparation, un changement de job, la maladie de Jeta, et on top off tout cela, la préparation pour l’IronMan.

Et cette préparation a en quelque sorte été une corde d’assurage pour moi, comme en escalade. La seule constante dans toutes ces aventures et mouvances autour de moi. Pourtant le triathlon était aussi une découverte et un changement dans ma vie.

Mais le fait d’avoir cet objectif si longtemps, d’avoir dû planifier une saison avec des temporalités en terme de courses (Cannes/Deauville/Egypte) et d’entrainements (stages CNSD 1,2,3) au milieu d’évènements perturbants les grandes lignes de ce qui fait une vie moderne (travail/logement/statut de vie perso) m’a permis une forme de stabilité à laquelle j’ai pu me raccrocher. Je souris en réalisant ce que j’écris, en synthèse “préparer 124km de course dans le désert m’a apporté une certaine forme de stabilité”.

Cela peut paraitre lunaire, mais c’est la vérité. Et c’est sûrement la raison pour laquelle l’approche de la course me donne un goût d’aurevoir à un ami, et une nostalgie. Je ne devrais pas penser à ça, je devrais me focaliser sur terminer la course avant de penser à l’après, mais ça me traverse parfois l’esprit et je ne peux m’empêcher d’avoir un petit pincement en coeur.

Même si les arrières sont assurées, Agathe et Armelle cherchent déjà à m’embarquer avec elles sur un prochain défi…

Jeudi 17 novembre J-1

Hier midi, je suis donc allée chercher mon dossard sur ma pause déjeuner. Le soleil au zenith chauffe la place, la chaleur est très intense. Le village est vide. C’est clair qu’il y a très peu de participants (355), là où les IronMan les plus célèbres (Nice par exemple), culmine à plus de 2700 personnes.

Je vais donc retirer mon dossard. J’avoue être un peu déçue que leur logiciel ne prenne pas en compte les “caractère spéciaux” tronquant mon i tréma, qui m’est si cher. Plutôt qu’Eleïssa, je prendrais le départ sous le nom de Elessa. Classique shit.

Mais je passe rapidement dessus. Le village est si petit qu’il n’y a pas matière à y flâner, et je reprends le travail à 14h, alors je fais efficace.

La classique photo devant le nom des inscrits

Le soir, je termine ma journée avec une superbe nouvelle ! Mes parents viennent d’arriver en Egypte. Je n’y comptais tellement pas, que j’en suis plus qu’heureuse. Je passe rapidement à leur hôtel pour les voir, ils sont fatigués par le voyage, surtout Jeta, alors je les laisse se reposer.

Ce matin, je me reveille naturellement à 4h30 du matin. La veille, j’avais pourtant mis mon réveil à 8h pour “faire une bonne nuit”… Aux alentours de 5h, je n’arrive toujours pas à me rendormir, alors je décide de me lever pour aller faire un peu de Yoga sur la plage.

Comme d’habitude, les lumières de l’aube sont magiques. Superbe. Je ne vais pas me lancer de nouveau dans une descripiton de mon amour de l’aube, mais ces couleurs m’ont accompagnées dans tellement de pays et aventures différentes, qu’elles ont une saveur particulière.

L’aube, surtout en été, c’est un peu ma madeleine de Proust.

La beauté du petit matin

Manque de chance, il m’est très difficile de me détendre. En quittant l’hôtel, je vois les panneaux du semi-marathon sur la route… Puis, en m’installant sur mon tapis de Yoga face à la mer, je note les bouées de la natation face à moi. Et pour couronner le tout, le village commence déjà à s’animer (il est 6h du matin environ) : la musique me donne plus envie de courir que de me détendre.

Je me retiens de ne pas à mon tour me lancer une playlist des mes musiques préférées de motivation. Je suis déjà dans un état d’excitation intense, je sais que si je me met dans mon flow directement, avec mes playlist violente et mon niveau de concentration élevée, je vais m’épuiser.

Je réserve cela à demain — et j’ai hâte.

L’IronMan a investi la ville en une nuit. Mon petit déjeuner traditionnel egyptien : belila (blé au lait sucré)

Je remonte dans ma chambre après mon petit déjeuner. J’ai une petite demie-heure avant de commencer le travail et … Je reçois un message de mon père qui me dit qu’il est en bas de mon hôtel !

Je suis beaucoup trop contente de partager un café avec lui

Il y a bien longtemps que je n’ai réèllement trinquer…

Je lui raconte que j’ai beaucoup rit hier en voyant les tshirt de supporters “My Dad is an IronMan” et “IronMan Wifey” mais n’ai pas trouvé le “IronMan Husband”. Il rigole et me répond “j’ai un son moi, pas une daugther”. Ca me fait beaucoup rire.

A midi, j’atteins mon pic de stress : je dois préparer mes sacs de transitions, et j’ai une réunion dans la foulée. Je fais cela en vitesse, alors j’ai peur d’oublier quelque chose.

En déposant mon vélo au rack 187, mon numéro de dossard, le stress redescend : je visualise le départ de la natation, l’arrivée. J’ai une petite appréhension sur la gestion des transitions, cette histoire de sac me parait un peu compliquée. Mais au global, ça va.

Le triathlon, ce sport de psychorigide
Très concentrée pendant le brieffing. Aussi très fière d’être la seule française de ma catégorie (8 français au total). J’ai pris mes drapeaux.
Ma zone de transition, mon vélo, et OFF WE GO

Il est bientôt 21h, je ne réalise pas que c’est déjà demain. Je vais faire un dernier check de mes affaires, prendre un bain et aller me coucher. Pour l’instant, je ne suis pas stressée, j’ai juste hâte de voir ce que cela va donner.

IT’S DONE.

Samedi 19 novembre

La course est passée. Et à une vitesse.

Je ne réalise absolument pas que c’est terminé et derrière moi. J’ai passé la journée à buller. Je m’attendais à être dans un état plus déplorable que celui dans lequel je suis. J’ai de légères courbatures (j’ai connu pire), mais j’ai en revanche eu sommeil toute la journée, et particulièrement faim.

J’ai bouclé la course en 6h40, qui m’ont parues une minute. Prendre le temps d’écrire cette course va me permettre de la savourer de nouveau, car Ben avait raison : cela passe très, très vite.

Vendredi 18 novembre D-DAY

4h15

Je me réveille sans aucune difficulté. J’ai connu des matinées de course où j’étais plus stressée. A peine sortie du lit, je lance ma playlist de motivation. Je ne vérifies même pas mes sacs, et descend prendre mon petit-déjeuner. L’hôtel a gentiment ouvert le buffet à 4h pour les athlètes.

Je n’ai pas d’appétit. Je ne me force pas car je ne veux pas prendre le départ en ayant la nausée. Aux alentours de 5h du matin, je prends le départ pour le parc à vélo, littéralement en bas de l’hôtel.

En me dirigeant vers le parc à vélo, je croise des athlètes. Je n’en reviens pas d’être en train de vivre ce moment. Je ne réalise pas que je suis du côté des athlètes après avoir été spéctatrice à Lanzarote en Mars.

Je montre mon bracelet IronMan, et entre dans le parc à vélo. Je suis excellemment bien placée, juste à l’entrée. J’ai déjà scotché mes ravitaillements sur le vélo. Je décide de vérifier mes pneus avant de partir.

Bonne idée, ils se sont un peu dégongflés dans la nuit.

Dernières vérifications dans le parc à vélo

Les lumières sont absolument sublimes, la musique me motive. Le parc à vélo est confort, car nous sommes très peu. Conformément aux conseils de Ben, je sirote ma brique de jus pendant tout ce temps. Il y a plus de 2h entre mon réveil et mon départ, alors je porte grande attention à ne pas me déshydrater.

Le speaker annonce qu’il est temps de quitter le parc à vélo. Je lance un dernier regard à mon bolide en priant pour ne pas avoir de problèmes (je ne sais toujours pas changer une roue, encore moins tubeless).

6h00

Je sors du parc à vélo, dépose mon sac streatwear. Le soleil est bien levé maintenant, mais il fait frais.

La zone de transition

A peine arrivée sur la plage, je donne mon téléphone à une dame afin qu’elle me prenne en photo, et là…. Moment magique, j’aperçois mon père qui arrive juste devant moi. Je lui saute dans les bras, et la dame nous mitraille de photos à ce moment-là.

Quelle chance d’avoir pu capturer ce moment !

La photo que je demande à la dame, je tourne la tête et…
… le moment qu’une inconnue capture par hasard !

En un coup d’œil, je réalise qu’il est limite bien plus stressé que moi. Je suis très heureuse de le voir. En l’écrivant je réalise à quel point il est précieux d’avoir ses proches dans ce genre de moment. Je lui explique qu’il me reste 15 minutes pour aller m’échauffer dans l’eau. Je mets mes lunettes et me prépare à plonger.

J’ai encore le sourire avant d’aller m’échauffer

Au sortir de l’eau, j’ai froid. Je commence aussi à être émue, stressée. Je me place dans le SAS, il est 6h15, nous partons dans environ 30 minutes. Le speaker met l’ambiance. Autour de moi, je vois des yeux amplis de larmes, des regards durs et concentrés, et beaucoup de sourires.

Au sortir de mon échauffement, je suis frigorifiée.

Le speaker annonce qu’un zodiac va faire le trajet de notre nage, je lance un regard vers la mer pour tenter de le repérer, mais avec le monde j’ai du mal à distinguer les bouées. Je vois partir le bateau au loin et une pensée me traverse l’esprit lorsque le bateau fait le parcours et que je ne l’aperçois qu’à peine “tiens 1,9km c’est quand même loin…

Le stress à son apogé

Dans le SAS, les premiers partent. Je pense que c’est le dernier triathlon de ma vie où j’aurais le droit à de telles conditions : nous partons deux par deux, c’est royal. Il y a plus de monde dans l’eau à Bali en attendant une vague que ce matin-là au départ de mon 70.3

A quelques secondes du départ, je met les lunttes, mon regard se ferme. Plus de stress, juste de la concentration.

Je m’élance, et commence à nager. L’eau n’est plus froide passée les 30 premières secondes, et absolument sublime. De la nage, je ne me souviens seulement d’avoir regardé ma montre une fois : je nageais depuis une vingtaine de minutes. Je me sens plutôt très bien, l’eau est si calme que c’est aussi “facile” que de nager en piscine.

Passé un certain temps, je commence à trouver cela long. Nous sommes si peu sur la course que je m’éloigne souvent des bouées, et je n’ai personne dont je puisse profiter de l’aspiration. Plusieurs fois je pense passer “la dernière bouée”, et plusieurs fois, ça n’est pas la dernière.

C’est une sensation que je vais ressentir plus tard sur la course à pied : je ne souffre pas, je suis bien physiquement, mais je trouve cela long (il faut dire que je ne suis pas connue pour être patiente).

Puis j’arrive enfin au bout, je sors de l’eau, je vois mon père qui me hurle ses encouragements. J’ai bouclé la nage en 50 minutes, je suis contente. Je me sens en forme, et j’ai l’impression que la course commence réèllement maintenant.

7h43, sortie de l’eau T1 + vélo

Je m’élance dans la zone de transition. J’ai superbement organisé mon sac. Mécanique.

Je m’assois, enlève bonnet, lunettes. Me sèche, rince ma bouche de l’eau salée, met ma crème solaire, prend un gel, enfile chaussettes et chaussures de vélo, et m’élance.

Mon père arrive à capturer ce moment en vidéo. Je monte sur le vélo, j’ai de l’émotion.

C’est parti pour 90km.

Mes ravitaillements sont scotchés sur mon cadre depuis la veille, et j’ai le reste dans ma trifonction. J’ai passé des heures à établir une stratégie de ravitaillement, c’est le moment de la tester. Je lance le compteur à vélo de Yohan et c’est parti.

Premier kilomètre à peine sortie du parc à vélo

Sur les 40 premiers kilomètre, j’ai le vent de face. J’oscille entre 13km/h et 22km/h, là où j’aurais aimé ne jamais descendre en dessous des 20km/h. Je sens que je peux pousser, mais je ne veux vraiment pas me cramer. Je suis très en forme, alors j’en profite. Malgré le vent, la sortie est très très agréable. Le paysage est superbe.

Sur la route, fait particulièrement anecdotique, nous croisons une dizaine de tanks militaires, avec des soldats assis ou debout dessus, leurs armes pointées vers nous. Véridique. Dans mon euphorie, je fait coucou à chacun des tanks. Ils me répondent systématiquement. Sur la route, les rares personnes que nous croisons nous encourage également.

En terme de ravitaillement, j’applique ce que j’ai prévu : un gel Maurten par heure, et chaque demie-heure une pâte de fruit. Je m’hydrate aussi très régulièrement en alternant ma boisson glucidique et mon ISO. Je me sens vraiment bien. Nous sommes sur une longue route droite de plus de 50km, certains athlètes détestent cela.

Moi, j’adore. Comme à Lanzarote, les longues routes à perte de vue, ou sur le semi-marathon de Nice sur la promenade des anglais : j’aime voir la distance à perte de vue devant moi, ça ne me décourage pas, au contraire. J’aime perdre mon regard vers l’horizon avec cette sensation que cela ne terminera jamais, ça m’euphorise.

Au 48km kilomètre, nous arrivons sur le premier ravitaillement. Je décide de m’arrêter. Ben m’avait dit, “si tu t’es bien hydratée, tu aurais envie de vider ta vessie sur le vélo”, j’en déduis que je gère mon hydration correctement.

Je ne me met zéro pression, et c’est globalement ce que je vais appliquer toute la course : je veux profiter, terminer en bonne santé. En faisant la queue pour les toilettes j’entends

“alors, tu as retrouvé ta vis?”

Surprise ! C’est Fred ! Le français auquel j’avais laissé un mot à l’aéroport et avec lequel nous avions échangé quelques messages ! Incroyable de se croiser ici au même moment parmi les 355 participants ! Nous échangeons quelques mots, je rechage mes bidons, et repart.

Et là…

Les sensations sont incroyables.

J’ai le vent de dos, j’ai fait plus de la moitié et je suis en excellente forme. Les 40km à venir passent à une vitesse hallucinante. Le vent m’aidant, je ne descend pas en dessous des 35km/h (ce qui est énorme à mon niveau). Je monte même à 50km/h à certains moments, sans être en descente.

Au bout de 70km, je réalise que j’arrive bientôt au bout et j’ai un réèl pincement au coeur. Quoi ? Déjà ?

J’aurais aimé faire 180km de vélo je crois. Je trouve que c’est bien trop court, et que la fin arrive bien trop vite (ce que je n’ai ressenti ni sur la nage ni sur la CAP, par ailleurs).

Je dépasse beaucoup de cyclistes, mais quasiment personne ne me dépasse. Au 80ème kilomètre, je commence à me mettre en danseuse par moment pour accélerer. Je regarde le compteur : je veux terminer en dessous de 3h30 (moi qui pensait finir en 4–5h).

85ème kilomètre, de retour à la ville

Sur la fin, j’avais réèllement envie d’augmenter l’intensité pour accélerer encore davantage. J’ai fait le choix de me contenir : pour un premier 70.3 j’ai priorisé la gestion de mon énergie.

Pourtant, je termine le vélo en 3h34, sans m’être poussée. Je suis ravie.

89ème kilomètre : je me souviens exactement de ce moment. Le vélo est terminé, j’aperçois la zone de transition. Je suis en forme, et en découvrant la photo, je réalise que ça se voit.

11h23, départ de la course à pied

Je pose mon vélo. Je me dis que maintenant, cela ne dépend plus que de moi (là où sur le vélo j’avais peur d’un aléat mécanique).

Je commence à courir, je vois mon père dès que je sors de la zone de transition.

1,9km de nage: Done. 90km de vélo : Done. Je m’élance pour le semi-marathon.

Il fait très, très chaud.

Sur mes deux précédents triathlons, j’ai eu une très bonne course à pied. Mais cette fois-ci, je ne pars pas pour 10km mais pour un semi-marathon.

Je décide de m’astreindre un mantra, bien différent de mes mindset habituels : je me dis que je suis ici pour me faire plaisir, et qu’à chaque minute je dois prendre soin de moi (hydration, ravitaillements, ralentir et marcher s’il le faut).

C’est une approche en effet bien différente car sur les formats M et les semi-marathons / 10 km, je me suis toujours poussée au bout car je poursuis en général un objectif de chrono. Le dialogue intérieur associé est donc plus sévère et directif.

Au bout d’une trentaines de minutes, j’ai chaud. Pour la première fois depuis 4h du matin, je me sens sur une pente descendante. Je regarde ma montre et réalise que je ne me suis pas ravitaillée depuis plus de 30min. Je prend un gel, et j’arrive au même moment sur une zone de ravitaillement : on me donne de l’eau, et des éponges d’eau glacée. Coup de boost. Je retrouve de nouveau la forme, je ne me sens absolument pas comme si j’avais bouclé 2km de nage et 90km de vélo dans le désert. Incroyable.

Les éponges d’eau glacée aux ravitaillements me font un bien fou. Elles me permettent d’éviter le coup de chaud.

Sur les 10 premiers kilomètres, j’avance à un bon rythme et ne m’arrête pas aux ravitaillements : j’attrape seulement de l’eau et des éponges d’eau glacée. Je croise aussi mon père et Jeta. Le paysage est magnifique, nous courons en bord de mer. Etant l’une des très rares femmes, je suis toujours chaleureusement encouragée par les spectatrices.

Sur certaines parties du parcours, vers la plage, il y a beaucoup de supporters et de la musique : c’est agréable et donne un coup de boost. Les partie isolées du monde (aussi les plus chaudes), sont plus difficiles psychologiquement.

A partir du 11ème kilomètre, je me dis deux choses

la première : dans 11km, il en est fini de cette course -déjà.

La deuxième, c’est que plus que la fatigue, je commence surtout à ressentir de la lassitude. C’est difficile à décrire. Je ne suis pas en grande difficulté physique, ni psychologique d’ailleurs. Je n’ai juste pas envie de me pousser. Je n’ai pas envie que tout cela finisse trop vite, aussi.

Alors je décide de marcher à chacun des ravitaillements. Je souris en écrivant ces lignes, et je m’en amusais aussi d’ailleurs par moment. De plus en plus de personnes marchent, le soleil est brûlant.

Après chaque stop de ravitaillement, j’attrape donc de l’eau, une boisson ISO et une éponge. Je profite de tout cela calmement, en marchant. Plus les kilomètres défilent, et plus je vois que je vais à peine dépasser les 2h sur le semi, moins j’ai envie d’aller me mettre dans le dur.

2h sur un semi-marathon en 70.3, c’est plutôt pas mal. Alors je n’ai pas envie de me mettre dans le rouge, je veux profiter de mon moment.

Avec le recul, je me connais par coeur… Je sais exactement ce qu’il s’est passé dans ma tête à ce moment-là : 2h sur un 70.3 (surtout pour un premier), est bien plus que correct.

Cherchant à profiter de ma course, j’ai implicitement décidé de me tenir à cela. Si j’avais été dans un chrono qui ne me satisfaisait pas, j’aurais accéléré sur tout le semi-marathon, allant chercher jusqu’au fond de mes tripes de l’energie pour atteindre un chiffre satisfaisant.

Je croise de nouveau Jeta et mon père. Le tronçon sur la Marina est magnifique, l’eau est superbe.

Les clichés paris par Jeta

Au 18ème kilomètre, une ambulance s’arrête à côté de moi pour récupérer un coureur. Je détourne la tête.

Il fait chaud, mais j’en vois le bout.

Au 19ème kilomètre, je récupère le troisième bracelet qui indique que je boucle mon troisième et dernier tour.

J’aperçois au loin le tapis rouge

Je suis sur le tapis rouge, mais je n’ai pas encore passé la ligne d’arrivée. Les larmes me montent en une fraction de seconde.

Tout se passe en un clin d’oeil, mon père est sur la droite, je passe la ligne d’arrivée, on me met une médaille autour du cou et… s’est terminé.

Je passe la ligne d’arrivée

A ma montre, je vois que je boucle mon premier 70.3 en 6h40

Et dans des conditions plus que difficiles.

FINISHER IRONMAN 70.3 EGYPT 2022 !

Je suis émue, je ne réalise pas.

J’ai terminé.

La première chose qui me marque est que je suis en excellente forme, je n’ai ni soif ni besoin de manger quelque chose, là où après Deauville j’ai eu besoin de m’assoir et de manger instantannément après mon arrivée, sans quoi je n’aurais jamais pu aller chercher mon vélo.

Je discute avec mon père, avec des bénévoles qui nous prennent en photo. Puisque je n’ai pas besoin de me ravitailler, je décide de dire à mon père que je vais directement sortir de la zone de transition. Je récupère mon sac et le retrouve.

Nous regardons mon classement : je suis 179ème sur 300 personnes (il y a eu 55 abandons). Je suis plutôt très fière de moi dans la mesure où je n’ai même pas un an de triathlon derrière moi, que je me suis préparée sérieusement sur une courte période, et que le profil de la course était particulièrement difficile.

Quand je pense que j’ai fait mes premiers 100km de vélo il y a 9 mois… Que je n’avais fait de réèlle séance de natation avec un coach avant d’être en club (septembre….), je suis plutôt fière de moi.

Nous décidons de nous retrouver le soir à 19h pour la remise des prix. Je récupère mon vélo, et me dirige vers l’hôtel.

J’ai reçu plus d’une centaine de message en cumulant WhatsApp et Instagram. Je rentre à l’hôtel avec mon vélo. Le staff me félicite, ils m’attendaient de pied ferme.

Je suis pleine du sable du désert. Je prend ma douche. Enfile mon tshirt neuf de Finisher, et me dirige dans la salle du déjeuner pour répondre à tout mes amis et à ma famille qui m’ont soutenus depuis les 4 coins de la planète.

Mardi 22 novembre

Je termine ces lignes face à la mer. Ce journal a eu exactement l’utilité que je voulais lorsque je l’ai débuté : m’aider à ordonner mes idées pendant ces 10 derniers mois, et relater par écrit les évènements pour me souvenir. Il y’aura sûrement d’autres 70.3, avec une place relative dans ma vie, mais il n’y aura plus jamais de premier 70.3

Nous rentrons demain à Paris. Je suis plutôt triste, moi qui n’ai que très rarement le blues en rentrant de vacances. Je sais que c’est parcequ’encore une fois, en quittant, l’Egypte, je dis aurevoir à ma course. Annabelle, une athlète avec moi m’a dit hier

“I feel so sad…”

Pour les même raisons : la fin d’un défi. De mon côté, j’ai pleins de belles choses qui m’attendent encore pour la fin d’année, d’autres défis en tête mais c’est vrai que je suis très nostalgique. Je suis tellement, tellement contente d’avoir relaté tout cela par ecrit. Je sais que je me relirais (j’ai déjà souvent relu mes débuts qui me font aujourd’hui beaucoup rire). J’ai l’impression de m’être forgé un souvenir tangible.

J’ai du mal à m’arrêter d’écrire, là tout de suite, en prenant mon thé à la menthe face à la mer, car je sais que la dernière phrase sera le point final de ce journal.

En direct de l’écriture de ces lignes

Tout arrive pour une raison. Si Brigitte n’avait pas abandonné, mes parents ne seraient jamais venu me voir. Et c’était exceptionnel de les avoir. Mais si je n’avais pas rencontré Brigitte à cette retraite Yoga, je ne sais pas si je me serais si tôt lancée dans le triathlon, en sortie de COVID.

J’ai rencontré des personnes absolument géniales. J’ai reçu du soutien d’un nombre incalculable de personnes. J’ai appris beaucoup, et c’est ce qui m’a plu le plus : partir de zéro dans une discipline. Ne rien connaitre du tout en vélo, en natation, en triathlon et son jargon, ses détails techniques.

Je me suis construit des souvenirs inoubliables : mes premières nages en eau libre en Guadeloupe, les piqûres de méduses (Guadeloupe, Antibes dont j’ai les Cicatrices..), assister à mon premier IronMan à Lanzarote, y faire mes premiers 100km dans la chaleur, le vent, le dénivelé des volcans, ma sortie vélo à Bali, les cadeaux qui m’ont été offerts en rapport avec le triathlon au fil des mois (notamment ma sublime trifonction ;) ), les petits-déjeuners avec le club, mes premières sorties vélo seule jusque Meaux, et les sorties en groupe jusque la vallée de Chevreuse, le départ à Deauville avec Yohan et Brigitte suivi d’une séance natation avortée pour cause d’eau glacée, et j’en passe.

Si vous êtes arrivés jusqu’ici, merci.

Je n’ai pas les mots pour mes proches et surtout amis qui m’ont suivi depuis le début. Merci à mes proches amis qui m’ont laissés partir la première de leur anniversaire car “demain je nage”. Merci à ceux qui ne m’ont pas tenu rigueur de refuser un énième drink, car “demain je roule”. Merci à vous de m’avoir écouté parler avec passion de vélo, nage et course à pied. De m’avoir soutenue.

Merci à mes parents pour tout.

Merci à tout les triathlètes sans qui cette course aurait été différente :

Yohan, pour tes conseils depuis le début de l’aventure. Heureusement que tu étais avec moi sur Cannes pour mon premier triathlon. Merci pour le compteur.

Ben, qui arrête le peloton car il voit que je suis frigorifiée mais n’ose pas demander au groupe de s’arrêter de peur de vous ralentir : merci pour ta disponibilité, ton oreille attentive, tes appels en visio (même pendant ta CAP), la clef dynamo, et les milliers de conseils précieux autour du BBQ de Tobias, d’un déjeuner ou via notre WhatsApp.

Tobias, pour la case qui m’a bien sauvée la vie et que tu as même gentiment amené jusque chez moi. Tu avais raison, swimming is overrating anyway ;)

Fabrice, pour la première fois où je suis passée à KM42 en parlant triathlon en disant “je songe à m’inscrire aux Expat” et que tu m’as répondu “c’est mon club, va-y sans hésitation” et tout tes conseils par la suite (et le papier-bulle en j-1 de mon départ qui m’a bien sauvé la vie).

Luis, Roger et Ulysse (et Tobias et Ben) pour votre accompagnement… inestimable lors du démontage de mon vélo. En continue sur notre boucle WhatsApp pour m’aider : je ne sais pas comment j’aurais fait sans vous.

Daniel from the US pour ton petit pochon de glace et tes conseils sur la menthe poivrée dans le bidon.

Daniel from the UK pour le livre que tu m’as donné et qui m’a réellement servi.

Aytug pour ton aide sur la planification des entrainements et tes encouragements.

Les FireG : Agathe, Amandine, Amélie (merci pour les prolon ;) )et Armelle pour votre bonne humeur lors de nos entrainements et votre soutien inconditionnel.

Merci à ma meilleure amie Marjolaine pour son soutien sans faille. Yassine, Pauline, Alexia, Bouki, Camille.M, Jade, Elias, Pit, l’équipe Finisher Triathlon, les Expats…

… et sûrement pleins d’autres que j’oublie.

Time to say goodbye for real…

See you on my next adventure.

Much Love,

Eleïssa.

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Eleïssa Karaj
Eleïssa Karaj

Written by Eleïssa Karaj

Chief Digital Officer of a 270 people law firm, I am passionnate about innovation, entrepreneurship and sports.

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